Il y a d’abord, dans l’ordre chronologique, le portrait de Marie Phlipon du Musée Carnavalet, reproduit en tête de l’ouvrage de M. Join-Lambert. Il daterait de 1773 et aurait été gravé par Phlipon. Nous nous bornons à le mentionner, car il ne peut servir ici de point de comparaison avec les autres portraits de 1792 et 1793.
Il importe, en effet, de remarquer tout d’abord que nous ne voyons guère de place, pour des portraits de Madame Roland, entre l’année où elle a quitté Paris (1781) et celle de son retour en 1791. Dans cet intervalle, elle a habité Amiens, puis le Beaujolais, en dehors du monde des artistes, dans une de ces situations modestes, relativement peu aisées, où l’on ne songe guère à se faire peindre. Une toile remarquable, que possède M. Nouvion, conseiller à la Cour d’appel de Nîmes, qu’il attribue à Prud’hon et où il croit reconnaître les traits de Madame Roland, devrait donc, si ces deux hypothèses étaient admises, être datée au plus tôt de 1791. On sait, en effet, que Madame Roland, revenue à Paris cette année-là, du 20 février au 3 septembre, habita la rue Guénégaud, et qu’elle allait souvent avec son mari, Bosc, Lanthenas, etc., au Club des Jacobins, où ses amis d’alors, Pétion, Buzot, Robespierre se faisaient applaudir. Or, il se trouve que Prud’hon, qui d’ailleurs était en Italie de 1784 à 1789, demeura précisément, à son retour, dans la rue Guénégaud[1], et qu’il allait assidûment, lui aussi, écouter Robespierre aux Jacobins. Ces circonstances permettent de croire qu’il aurait pu connaître les Roland. Mais nous ne pouvons que les signaler, sans pousser plus loin un examen qui supposerait admises deux hypothèses préalables[2].
Lorsque Roland devint ministre en mars 1792 et que sa femme organisa les célèbres réceptions du ministère de l’intérieur, si agréablement décrites par Étienne Dumont[3] et par Lemontey[4], les peintres durent s’offrir en foule.
Faut-il compter Heinsius parmi eux ? Le portrait si connu qui est au Musée de Versailles et qui porte la signature Heinsius pinxit, 1792, représente-t-il réellement Madame Roland ? La famille le tient pour apocryphe. Mme Faugère, veuve de l’érudit (petit-neveu de Bosc) qui a rassemblé tant de précieux documents sur les Roland, nous a déclaré également, en 1896, deux ans avant sa mort, que ce portrait était une fausse attribution, et elle s’appuyait pour cela sur une lettre adressée à son mari par M. Eudor" Soulié, le savant conservateur du Musée de Versailles. Malheureusement, nous n’avons pas retrouvé cette lettre dans les papiers légués par Mme Faugère, en 1898, à la Bibliothèque nationale. Ajoutons que, dans aucun des catalogues du Musée de Versailles, tant ceux de M. Eudore Soulié que ceux de MM. de Nolhac et Pératé, ses successeurs, aucun doute n’apparaît sur l’authenticité de l’œuvre. Nous ne pouvons donc que consigner ici l’opinion, si autorisée en l’espèce, et de Mme Faugère et des descendants de Madame Roland. En tout cas, il semble bien que le pinceau
- ↑ Pierre-Paul Prud’hon, par Charles Clément, p. 64 et 219 de la 3e édition (1866). Il est vrai que Prud’hon, en septembre 1791, avait déjà quitté la rue Guénégaud pour la rue Cadet (Ibid, p. 209).
- ↑ Notons que Mme Taillet, qui a examiné ce portrait, estime qu’il paraît bien représenter son arrière-grand’mère.
- ↑ Souvenirs sur Mirabeau, p. 394, etc…, et pas Mme Marie Roger, dans la Notice de son édition des Mémoires (1823).
- ↑ Cité par M. Dauban, Étude, p. cxxxiv.