Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/176

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Les avis cités de tant et de célèbres auteurs ne détruisent pas mon idée que la médecine est un art purement conjectural. Les traitements de cette maladie varient suivant les circonstances qui l’accompagnent et le tempérament du malade. À celui-ci, saignée, vomitif et diète ; à celui-là, les bains, la nourriture, l’exercice ; à d’autres, le vin ou les opiates, etc. ; on paraît, en général, devoir éviter les purgatifs irritants pour les intestins et finir par les cordiaux, entre lesquels on préfère le vin. Prends garde que je n’y prenne goût ; ne serait-ce pas un joli, résultat de cette triste maladie ?

J’ai été interrompue et je viens d’avoir une bouffée de chagrin qu’il faut que j’adoucisse avec toi. J’avais à occuper mes deux filles pour un quart d’heure, je me suis chargée de l’enfant ; à peine a-t-il été dans mes bras, qu’il s’est mis à crier en me fixant ; il m’a semblé qu’il cherchait après sa bonne[1] ; j’en ai conclu qu’il se déplaisait avec moi, et ce soupçon m’a désespérée. Hélas ! la pauvre petite a bu de mes larmes, elles coulaient malgré moi, tombaient sur ses joues et allaient se mêler à la boisson que je tâchais de lui faire prendre. Tout a été inutile : je voulais la promener, je ne pouvais me lever de mon siège en la portant ; le sentiment de cette impuissance n’était pas consolateur. La bonne est revenue ; soit que mon idée fût fondée, soit que le mal fût apaisé, l’enfant se tut et s’endormit sur les bras de cette fille. Il ne faut pas se le dissimuler, elle aura l’enfant plus que moi dans ces premiers temps ; surtout durant cette malheureuse convalescence où je suis privée de mes forces ; elle aura aussi ses souris ; et moi, qui aurai plus de douleurs, je ne serai pas dédommagée par ses premières caresses qui m’auraient fait tout oublier. J’en pleure encore, je suis d’une faiblesse impardonnable. Mais mon enfant ne connaîtra pas mon sein ; il ne s’y jettera plus avec cet empressement si touchant pour les mères : pourquoi n’ai-je plus de lait[2] ! Voilà ce que tant de gens

  1. La bonne, c’est toujours Marie-Marguerite Fleury.
  2. Madame Roland a raconté elle-même (Avis à ma fille en âge et dans le cas de devenir mère, p. 300-344 du tome I de l’édition Champagneux), avec une singulière précision de détails, ses misères de nourrice et la vaillante obstination avec laquelle elle les