Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/213

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de ma personne : je me porte toujours mieux et je puis dire fort bien ; mais, par une suite de mon bonheur en cuisinière, celle que j’ai a son talon si bien hypothéqué qu’il faut la tenir assise, avec la jambe sur une chaise. Tu sais mes raisons pour n’avoir pas envoyé chercher Ancelin et pour avoir préféré de me servir de l’onguent qui t’a guéri un mal semblable ; la suppuration s’est établie telle qu’elle fut à ta jambe ; les douleurs sont vives et la plaie n’ayant (et ne pouvant avoir encore) un air de guérison, la fille a désiré voir une dame de cette ville qu’on lui a vantée et dont on dit avoir vu des cures merveilleuses ; je ne m’y suis pas opposée ; cette dame lui a conseillé d’appliquer pour tout onguent une sorte d’emplâtre fait de pain bis, de petite bière et de suif de chandelle, bouillis ensemble et réduits en pâte. Nous lèverons ce soir le premier appareil. En attendant, il a fallu recourir à Marie-Jeanne pour les petites courses et la besogne du ménage, de manière qu’au lieu de retourner chez elle ce matin, elle est restée et va continuer jusqu’à ce que je puisse tirer meilleur parti de l’autre.

Je ne puis me défendre actuellement de répondre, avant tout, à l’observation qui fait l’objet principal de ta dernière lettre[1] ; j’en sens toute la force et l’importance, autant qu’il soit possible, puisque je vois s’écouler de mes mains ce que mille choses à avoir donnent le besoin de ménager. Mais, de ce que tu appelles mes générosités, je n’ai rien fait dont nous ne fussions convenus, à l’exception de mon nourrisson, qui ne fait même que remplacer Joséphine à laquelle j’aurais donné si elle était restée ; car la nouvelle arrivée n’a rien eu ; non plus que Saint-Pierre, qui est venu le 1er jour de l’an, la gueule enfarinée, et qui s’en est allé tout penaud, chose qui est merveilleusement dans son caractère et qui m’a un peu fait rire.

Au reste, si je te réponds, ce n’est pas pour me plaindre de ta réflexion : elle est trop raisonnable et trop fondée ; c’est seulement pour

  1. Roland avait écrit, le 5 janvier 1782 (ms. 6240, fol. 126), à propos des petits cadeaux à Marie-Jeanne (lettre 36) : « Il me parait que tu fais de générosités sans peut-être beaucoup d’égards à nos moyens. Je crois, mon amie, qu’il serait plus prudent de ne pas se mettre dans le cas de ne pas faire le nécessaire que de faire le superflu. »