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que je lui souhaite pareille rencontre dans le temps. Je ne sais, mais quand j’ai fait la découverte de quelques âmes de cette trempe, je me sens aussi aise que si j’eusse trouvé un trésor, et l’idée de leur existence me rafraîchit le sang.

J’ai voulu me servir de l’éponge, au goulot d’une bouteille, pour notre petite ; mais, habituée à presser fortement un suçon de toile, elle s’accommode difficilement de l’éponge, qui, cédant aisément, fournit alors trop de lait ; elle ne l’agrée que dans le cas où elle est demi-rassasiée ou un peu endormie et qu’elle suce mollement comme pour s’amuser. Je commence à croire à la nécessité de tenir un peu chaudement les nouveau-nés ; ma fille avait gagné des engelures aux mains, qui étaient toujours violettes, avec une peau luisante qui paraissait comme soulevée par l’abondance du sang circulant mal aux extrémités ; je les lui laisse cachées, quand elle dort, d’un linge légèrement jeté dessus comme une couverture. De même ai-je été obligée de faire un peu tiédir l’eau pour la laver dessous les aisselles où elle, paraît d’une sensibilité si grande que j’aurais craint de lui causer des contractions de nerfs si je me fusse opiniâtrée à l’eau froide, que je conserve toujours telle pour le derrière et les cuisses. La santé de ce cher petit gage s’améliore ; ses nuits sont bonnes ; son appétit est grand et tout va bien.

Je suis étonnée que tu ne m’aies rien dit des exemplaires du Mémoire sur les troupeaux, que tu as dû trouver au bureau avec mon paquet ; ils ont été expédiés ensemble ; j’avais joint un billet aux exemplaires ; ce que je dis, parce que je ne voudrais pas qu’il fût tombé en mains étrangères.

Je fais mettre aujourd’hui mon vin en bouteilles ; je te quitte parce qu’il se fait tard et qu’il faut saisir le moment de liberté pour envoyer à la poste. Le temps est toujours horrible.

Adieu, mon cher et bon ami ; sois tranquille, finis tes affaires en paix. Je t’embrasse de tout mon cœur.