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Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/318

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son ; mais ne voulant pas y être présenté par sa tante, à cause des petites bêtises de famille, il s’y est fait introduire par L’Apostole. Tu juges des allusions que cette gaucherie fait imaginer. En vérité, c’est de bien mauvais goût ! Mme d’Eu voudrait que je terminasse mes visites demain par le spectacle et un souper chez elle ; cela n’est rien moins qu’arrêté au premier égard, et, quant au second, je reviendrai très sûrement manger au logis mes pommes cuites ou mes confitures ; il n’y a que cela qui me laisse dormir.

J’ai eu tant de plaisir à revoir ce soir ma petite fille après quatre heures d’absence, j’étais si pressée de la caresser que je n’ai fait qu’un saut jusqu’à ma chambre en rentrant, et que je m’y suis tenue assez longtemps sur le plancher pour l’embrasser tout à mon aise. Pour toi, fripon, il faut que je lève la tête. M. de V[in] est venu me lire à ma toilette, ce matin, un noël terrible, fait de bonne main, un peu… je ne sais comment dire, et qu’il m’a promis de copier pour toi. Ce n’est ni le ton austère de Juvénal, ni le cynique de Piron, mais celui d’un courtisan malin, qui connaît et peint bien, et nomme tout par son nom[1].

On fait ici M. de Verg. [Vergennes] premier ministre[2]. Moi, qui ne me mêle pas des grandes affaires, j’ai donné au jeune homme à copier les morceaux essentiels de l’art du filier (sic) ; comme il vient de finir les moutons de M. Delporte et que je n’ai pas d’autre besogne à lui fournir, j’ai préféré l’occuper ainsi à faire un extrait que j’entreprendrai dans un autre moment. Je continue ma révision ; je l’aurai achevée demain, à l’exception des morceaux à traduire.

Bonsoir, cher ami, je te quitte à ce moment pour des comptes de ménage. Mme de Gomiecourt[3] m’écrit et te dit mille choses. Adieu, je

  1. Voir Mém. secrets, 15, 20 et 22 décembre 1781, 26 février et 19 avril 1782, sur les noëls abominables qui couraient alors contre la Reine.
  2. Depuis la mort de Maurepas (21 novembre 1781), il n’y avait pas eu de premier ministre ; mais Vergennes allait se faire nommer « chef du Conseil royal des finances » (Mém. secrets, 22 février 1783) et devenir par là une sorte de premier ministre.
  3. Sophie Cannet.