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votre cœur y met un prix, et certainement vous en sauriez toujours plus dans notre correspondance abrégée, que lui-même en nous voyant tous les jours. Je ne serais pas étonnée qu’il passât peut-être trois semaines à Paris sans vous voir, quoiqu’il le désire véritablement, et il est de trempe à employer la moitié de sa vie à projeter le contraire de ce qu’il fera dans l’autre : excellent cœur avec cela, âme honnête, et taillé pour faire le meilleur mari d’une femme qui aura beaucoup de sens.

Vos pucelles du Poitou[1] ne ressemblent point à nos demoiselles d’Amiens, qui ont toute l’assurance d’une femme dont la timidité est bien remplacée ; elles causent en cercle tout aussi haut, jouent dès douze ans, et sont dès lors représentantes avec les mines et les petites façons des routières ; c’est une vraie cocasserie, à laquelle heureusement on trouve quelques exceptions remarquables.

Je gagerais presque que vous êtes l’homme au jeu de quilles ; nous avons déjà fait de grandes parties avec ma fille, mais c’est une petite sotte, qui jette sa boule à côté : en vérité, si elle ne vise jamais mieux, ce sera une pauvre chose ; mais il faut patience à tout. Ainsi en avez-vous besoin pour soutenir le travail et la résidence, ou la pluie quand elle vous prend aux champs. Mais Dieu soit loué ! puisqu’il vous reste encore le temps de nous dire un mot d’amitié et surtout la volonté de conserver ce sentiment, malgré les friponneries du petit drôle qui vous donne des distractions près de la sœur de l’abbé !

Adieu, nous vous aimons bien aussi, et sans distractions nous autres bonnes gens qui avons fait le voyage.


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[À BOSC, À PARIS[2].]
25 avril 1783, — [d’Amiens].

[Vous êtes un excellent homme que nous embrassons de bien bon cœur ; votre sensibilité, votre âme se peignent, sans que vous cher-

  1. Cette allusion aux relations de Bosc avec le Poitou peut s’expliquer par sa liaison avec Creuzé-Latouche, qui était du Poitou et qui habitait alors Paris (rue des Lavandières-Sainte-Opportune ), à côté de Bosc (rue des Prouvaires). Peut-être Bosc était-il en Poitou, chez Creuzé-Latouche, profitant du congé de Pâques.
  2. Ms. 6239, fol. 240. — Bosc, IV, 55 ; Dauban, II, 493. — Le manuscrit contient deux paragraphes inédits. Les autres sont entre crochets.