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qu’il faut que vous soyez bien fou, ou que je sois bien sotte de ne rien comprendre à cela ; ou plutôt, je ne sais que dire, penser et faire.

Tenez, mon ami, nous rabâcherons sans cesse si vous ne revenez pas à la raison. Je vous promets pourtant de ne plus revenir à ceci, et surtout de vous aimer toujours : c’est ce que je sais, ce que j’entends, ce qui me plait le mieux. Recevez un bon soufflet, une bonne embrassade, bien amicale et bien sincère ; c’est ce qu’il me faut aujourd’hui pour l’humeur mixte dont je me trouve. Adieu donc ; j’ai bien faim d’avoir de vous une lettre où vous soyez comme jadis ; brûlez celle-ci et ne parlons plus de nos misères.


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[À ROLAND, À LYON[1].]
Le 23 novembre [1784, — de Villefranche].

Il n’est encore que mardi soir, mon bon ami, je suis empressée de causer avec toi. Comment te portes-tu ? Ne souffres-tu pas beaucoup du froid ? Que de questions prématurées auxquelles je ne puis avoir réponse de sitôt ! La chère petite Eudora s’est si bien trouvée le jour de ton départ, que j’ai cru être quitte de son rhume pour la peur ; mais hier elle était plus enrouée : aujourd’hui elle tousse beaucoup, je lui ai fait faire une petite boisson de pommes de reinette, et ce matin je lui ai fait prendre environ le tiers de l’eau que je bois avec le sel de Seignette ; elle en a été menée trois petites fois très doucement ; je veille à la laisser peu manger, sans la gêner cependant, et surtout à l’espèce d’aliments dont je ne lui permets que les plus simples et dont j’ai retranché la viande. Comme elle n’a point de fièvre, je n’ose appeler personne : je ne saurais qui mander. Je ne dis rien de ce que je lui fais pour éviter les caquetages et je m’arme de courage, mais sa toux, sans être encore très fréquente, me fait bien mal, je ne sens plus que ce qu’elle souffre ou plutôt ce que je crains, et je crois que sans cela

  1. Ms. 6239, fol. 127-128.