Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/560

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

165

[À BOSC, À PARIS[1].]
21 novembre [1784, — de Villefranche].

Dans un paquet que nous adresse l’ami Lanthenas, je trouve pour vous la lettre ci-jointe ; je saisis avec plaisir cette occasion de vous écrire un mot. Telle empressée que je sois toujours de le faire, je me retiens encore souvent, dans la crainte de vous fatiguer. Combien cette idée m’est pénible, vous ne l’imaginez pas ; mais enfin je suis trop votre amie, et pour vous laisser à vos funestes préjugés, et pour les combattre d’une manière qui vous devienne importune.

Pardonnez ces expressions chagrines aux impressions de même nature auxquelles je ne puis me soustraire en ce moment. Je ne voulais plus rien vous dire de semblable, et mon âme confiante m’échappe malgré moi. La lettre de la chère sœur m’a sensiblement touchée ; j’y veux répondre incessamment ; elle m’est arrivée toute nue, avec une adresse de votre main, sans mot d’ailleurs. Où êtes-vous donc, mon ami ? Encore une fois, passez-moi ce retour ; je pardonne tout à votre sensibilité, vous excuserez bien quelques effets de la mienne. Je suis veuve encore ; mon ami est revenu des montagnes et vient de repartir pour Lyon ; mon beau-frère est à la campagne pour diriger des pionniers, des tailleurs de pierre, etc. Ma chère Eudora est bien enrhumée pour la première fois de sa vie ; sa toux me déchire les entrailles, m’alarme et me met au supplice. La pauvre petite se rappelle bien de vous, mais moins de vos jeux que de l’état où elle vous vit à notre départ. « Maman, me disait-elle ce matin avec son petit accent qui annonce déjà du sentiment, M. d’Antic, il pleure ! » Elle m’a fait aussi mouiller mes yeux.

Ma santé n’est pas merveilleuse ; j’observe et commente, comme je l’entends, une ordonnance que j’ai apportée de Paris. Quand je songe que c’est pour ce papier et une visite faite et reçue à l’égard d’un homme dont je n’entends plus parler d’ailleurs[2], quand je songe, dis-je, que c’est la le fondement sur lequel votre amitié a bâti je ne sais quelle monstrueuse chimère, je me dis

  1. Bosc, IV, 74 ; Dauban, II, 513
  2. On verra plus loin (lettre du 1er décembre) que ce médecin était Alphonse Le Roy. — Voir Avertissement, p. 284.