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Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/654

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une liaison, tel refroidissement quelle paraisse souffrir. Voilà, mon ami, ce qui vous promet de me retrouver toujours la même ; sans doute qu’épouse et mère, attachée, satisfaite par ces titres heureux, il m’est plus facile de conserver de l’égalité avec mes amis qu’il ne doit l’être à vous, dont la situation indéterminée varie les affections : aussi j’apprécie les effets et les causes, et, tout en vous jugeant dans vos variations, je demeure votre amie.

Au reste, je ris de ma simplicité à vous répondre avec tant de détails ; à vous qui, depuis votre lettre écrite, aurez songé à tant d’autres choses que vous ne saurez peut-être plus ce que je veux dire.

Quoi qu’il en soit, il faut que vous me rendiez un service, vite et bien ; voici de quoi il s’agit.

Un homme d’esprit que j’estime et distingue est chargé de prononcer une oraison funèbre du duc d’Orléans[1] ; il ne sait trop qu’en dire, ni moi non plus. Il faudrait recueillir des faits, des anecdotes, l’opinion publique, quelque chose enfin de la vie de ce prince qui pût donner une idée de sa manière d’être civile et particulière dans le monde et dans son domestique, quelque chose qu’on pût citer, d’après quoi on pût partir ou qui permit de broder. Vous êtes assez répandu pour trouver quelqu’un qui, tant bien que mal, vous donne des matériaux. Allez, cherchez, trouvez, envoyez-moi ; vous voyez ce qu’il me faut. Je sais que vous êtes très occupé, mais je sais aussi que vous êtes fort actif, et je réclame les soins de votre amitié.

Mon bon ami est de retour à Lyon, d’où il m’envoie votre lettre qu’il a prise pour lui, et à laquelle il me charge de répondre « qu’il ne redoute pas qu’on lise ce qu’il a écrit à ses amis ; qu’il sait combien les gens sensibles sont soupçonneux, roides, durs même, mais qu’ils sont

  1. Louis-Philippe, duc d’Orléans, petit-fils du Régent et père d’Égalité, était mort le 18 novembre 1785. Le Beaujolais faisait partie de son apanage, et il était proctecteur de l’Académie de Villefranche. Cela nous permet de présumer que l’homme d’esprit chargé de prononcer son oraison funèbre à Villefranche n’était autre que le doyen de la collégiale, Bernard-Pierre Châtelain Dessertines, qui était en même temps secrétaire perpétuel de l’Académie. — Cf. lettre du 23 février 1786.