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Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/847

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spective. Là, nous nous occupons à réparer le domaine de notre enfant : nous surveillons les travaux champêtres, si doux pour les âmes saines, et nous conservons la simplicité de nos goûts. Formés, l’un et l’autre, par d’assez grandes épreuves, à la modération des désirs, nous trouvons, dans une existence modeste et honorable, l’aurea mediocritas d’Horace, et nous suppléons par le sentiment à ce qui pourrait y manquer d’ailleurs.

Quand on vit dans nos campagnes, dans ces vignobles surtout, où le peuple est si pauvre et si misérable, on se trouve trop d’aisance et point assez de moyens parmi des gens qui ont tant de besoins. Mais, quand on a une âme, on reconnaît aussi que l’argent est le moindre des secours à donner à l’humanité affligée ou souffrante. Ici, je conserve chèrement et me rappelle avec attendrissement l’image de tout ce que j’ai vu de bon, de sage et d’heureux ; ici, vous êtes souvent l’objet de nos entretiens. C’est dans cette solitude que je voudrais vous voir un jour, c’est là que j’aimerais à vous entendre : que ne puis-je avoir cette espérance et que ne pouvez-vous la justifier ! J’aurais retardé, du moins, comme une sorte de dédommagement d’y recevoir votre cher frère et d’y causer avec lui de tout ce qui vous touche… Faites agréer mes embrassements à votre digne épouse, à votre aimable famille. Combien je désirerais que ma fille ressemblât à votre charmante enfant, à peu près du même âge ! elle n’exercerait pas si péniblement mon cœur de mère, souvent forcé de cacher sa tendresse sous une apparence de froideur et de sévérité. Enseignez-moi à vaincre, à diriger un caractère indocile, une trempe insouciante, sur qui les douces caresses, de même que les privations et la fermeté, n’ont presque aucun empire. Voilà mon tourment de tous les jours. L’éducation, cette tâche si chère pour une mère à l’égard d’un enfant qu’elle aime, semble être la plus rude des épreuves qui m’aient été réservées.

L’amour du travail et la docilité sont, je crois, la base de l’éducation des filles ; j’ai beau consacrer mes soins à établir cette base, toujours elle est renversée par une dissipation, une inconstance et une contrariété excessives.

Mon âme s’épanche en votre présence ; j’ai oublié un moment que vous étiez loin de moi. Adieu, mon père et mon ami, adieu ; recevez avec affection et bonté l’expression des sentiments que supposent les deux titres sous lesquels j’aime à vous considérer ; ils sont pour jamais ceux de votre dévouée.


Phlp. de La Platière.

P.-S. J’ai fait, à Lyon, l’hiver dernier, la connaissance de Mme de Champ-