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Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/885

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plus marquée, plus durement ressentie, plus fanatiquement défendue. On a remarqué que le plus cruel bourreau des noirs était un inspecteur noir. Les aristocrates, les despotes les plus intraitables, sont précisément les hommes échappés d’hier de la classe du peuple. Vous ne voyez partout que petits conseillers, petits financiers, que fils de boulanger, de cabaretier, qui sont furieux aujourd’hui de se voir rapprocher de leurs parents, et qui crient anathème à la Révolution. La religion est perdue, l’État est dissous, on est dans l’anarchie, il n’y a plus de subordination : ce sont là leurs expressions favorites, et c’est avec ces expressions incendiaires qu’ils cherchent à faire repentir le peuple d’une Révolution qui met tous les hommes de niveau.

Dans les petites villes, l’amour propre plus exalté et la comparaison d’objets plus rapprochés mettent plus de distance entre les diverses professions qu’il n’y en eût jamais à Paris entre un bourgeois et un gentilhomme titré. Les officiers d’une petite sénéchaussée, les chanoines d’une collégiale[1], ignorés partout ailleurs que là où elle existe, s’élèvent au-dessus des autres particuliers bien plus que vos conseillers au Parlement ou vos gros abbés sur un marchand de la rue Saint-Denis.

Cette marque ridicule se gradue suivant les états ; elle nourrit tous les préjugés du despotisme, toute la sottise de l’ignorance, tout l’exclusif de la vanité, et l’on entend parler un homme de rien, décrassé d’hier par une petite charge, comme feraient nos princes ou nos roués de cour, de cette foule qu’ils appellent populace. Aussi l’esprit public concentré dans un petit nombre de citoyens désintéressés seconde en vain le seul droit du peuple qui le réclame ; il s’étouffe, il est nul parmi les dissensions que font naître tant de prétentions, tant de considérations personnelles et d’intérêts privés.

    çais du 10 septembre 178 (n° XXXIX). Il suffit de la comparer à celle qui précède (1er septembre, à Bosc) et à une de celles qui suivent (4 septembre) pour reconnaître Madame Roland. Elle se trouve aussi en copie sur les gardes de notre exemplaire de Bosc (voir la note de la lettre du 3 août). Elle fut remarquée, car elle se trouve citée in extenso dans l’Histoire de la Révolution de 1789, par deux Amis de la liberté, parue en 1790 (t. II, p. 373).

  1. L’allusion à Villefranche est fort nette et révèle assez l’auteur. — Cf. la lettre du 4 septembre.