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Copie d’une lettre écrite à M. Champagneux, auteur du Courrier de Lyon, Villefranche, le 25 juillet 1790. (Écriture de Roland.)

J’apprends, Monsieur, que l’on m’inculpe dans le public d’une manière étrange. Je suis, je l’avouerai, tellement persuadé qu’il est impossible d’échapper aux mauvais propos dans un temps où deux partis très opposés partagent absolument les esprits, et si éloigné de croire que le bruit de quelques méchants constitue l’opinion générale, que j’ai cru devoir dédaigner ce qu’on disait m’être attribué. Mes amis m’en font un reproche, et jugent qu’employé dans l’administration je dois, à ce titre, témoigner mon étonnement des indignes soupçons qu’on cherche à répandre contre moi ; c’est un hommage à rendre à l’estime des honnêtes gens, et j’y consens sous ce rapport.

Il m’était bien revenu que, lors des dernières assemblées à Lyon, divers particuliers, qu’on n’a su me désigner, s’étaient permis, particulièrement dans les sections de rue Buissou, du Plâtre et du Griffon, de débiter mille atrocités sur mon compte : j’étais l’auteur de l’insurection du peuple ; je méritais la corde ; j’avais fui hors du royaume à la veille du 14 juillet ; je m’entendais avec ce Trouard qui vient d’être renfermé à Pierre-Seize.

Plus le mensonge est grossier, moins il doit aller au but : tel a été mon raisonnement, et je suis demeuré fort tranquille, je n’ai pas même eu le plus léger mouvement d’indignation, tant l’absurdité me semblait pitoyable. D’ailleurs, dans ces temps difficiles, le patriotisme doit être persécuté par la calomnie ; et j’ai dejà fait assez d’épreuves de cette dernière pour qu’elle ne doive plus m’étonner. Cependant elle s’est prévalue de ma sécurité ; celles des personnes impartiales dont je ne suis pas connu se scandalisent de mon silence ou en infèrent quelque vraisemblance dans les accusations dont je suis l’objet. Ce n’est que pour elles que j’écris ; car, assurément, ceux qui cherchent à me rendre odieux ne croient pas éux-mêmes ce qu’ils avancent.

J’ai quitté Lyon le 7 de ce mois, parce que mes affaires m’appelaient ailleurs : tout était tranquille alors. J’ai passé trois jours à Villefranche, où je reviens souvent, et je suis plus fréquemment à la campagne, où le cadastre de mes fonds exigeait ma présence, où mes intérêts demanderaient que je fusse toujours, et dont le séjour m’est autant agréable par l’estime et l’attachement de tous mes voisins qu’il est favorable à mes goûts et à ma santé ; je serai à Lyon sous quinzaine, pour conférer des objets qui m’étaient confiés par l’ancienne administration avec celle qui est aujourd’hui en exercice.

Je n’ai jamais traité la question des octrois que relativement aux fabriques, du succès desquelles je devais m’occuper ; et je l’ai fait, en 1786, dans un mémoire qui a été livré à l’impression en 1788, et qui se trouve dans mon œuvre encyclopédique. Le mot que j’en ai dit dans la brochure intitulée Municipalité de Lyon est dans les mêmes principes, et rien de tout cela ne respire d’autre sentiment que celui du bien public, nécessairement attaché à une sage administration, au bon ordre et à la paix.

Je n’ai de ma vie entendu parler du sieur Trouard que depuis son arrestation : et, tandis que mes ennemis me font bénignement son complice, j’apprends, d’autre part, que je suis fort mal dans les papiers de ce personnage, qui a fait des notes très calomnieuses particulièrement sur moi et sur un autre membre du Conseil de la commune, dont le patriotisme est aussi connu que le mien.