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Après la chose publique, je ne sais comment revenir à ce qui m’est particulier, cela se tient cependant. Vous saurez que, tandis que je goûte ici la nature et le sentiment, on déchire à Lyon notre ami si terriblement, que nos amis se scandalisent de notre silence, et que les honnêtes gens qui ne nous connaissent pas commencent à nous croire coupables ; il faut donc descendre dans l’arène. J’ai pensé que c’était le cas d’une lettre explicative.

Notre ami ne pouvait s’en persuader la nécessité, tant il se trouve au-dessus de telles inculpations. J’ai imaginé qu’on pouvait prendre une tournure qui ne dérogeât point à la dignité de l’innocence : vous verrez si je me suis trompée ; j’aime à vous en envoyer copie pour que vous jugiez de cela même. Cette lettre sera imprimée dans le Courrier de Lyon[1].

Adieu, notre bon et digne ami.

Vous nous marquerez bien quand nous pourrons espérer de vous dire bonjour ?


Copie de la lettre d’un député à l’Assemblée nationale ; du dimanche, jour de la revue du Roi.
[18 juillet 1790.] (Écriture de Roland.)

Oui, Monsieur, il faut des idoles, il faut des fers aux grandes nations : tout sert à me convaincre de cette triste vérité ; et cette fédération elle-même, dont l’objet est d’assurer la conservation d’une juste liberté, comme j’y ai aperçu le germe de notre future servitude ! Un enfant faisant baiser sa main à tous les fédérés transportés d’ivresse ! Tous ne cherchant, ne voulant voir et être vus que du maître ! Des Angevins le haranguant dans son palais, et assurant à haute voix que son pouvoir venait de Dieu seul ! Toutes les expressions d’autant plus applaudies qu’elles étaient plus serviles ! L’assemblée accroissant chaque jour ses ennemis financiers, magistrats, soldats des gabelles, des fermes, du tabac, nobles, bénéficiers de toute classes, et maintenant les pensionnaires ; ne voulant point encore s’occuper des tribunaux et surtout de la cour nationale, faite pour arrêter les complots. Bonne-Savardin élargi ; aucune justice ; l’État périssant faute d’argent et de loi ; l’armée se débandant peu à peu ; et l’abominable Necker, patelisant (sic), boursouflé, jetant sur nous incessamment les horreurs d’une faillite qe nécessitera le défaut de perception, la négligence des districts, la paresse de trop d’agents ! Vous qui aimez la liberté, vous qui l’avez défendue, allez dans vos champs et, comme Caton, pleurez sur elle. Jamais je n’ai été si triste, et jamais je n’ai désespéré de la chose publique comme dans ces jours où tous autour de moi sont joyeux. Pauvres victimes, bien couronnées, allez en dansant adorer, et bientôt tomber sous le pouvoir extrême dont nous ne pouvons pas vous sortir !

  1. C’est la lettre écrite par Roland à Champagneux et datée du 25 juillet 1790. On la trouvera ci-après.