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Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/95

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ANNÉE 1780
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[À SOPHIE CANNET, À AMIENS[1].]
16 février 1780. — [de Paris.]

Enfin, ma chère Sophie, me voici paisible et solitaire, conduisant la plume à ton intention ; je pense à toi, chose ordinaire ; je t’aime ainsi que je fis toujours ; je te le répète, et voilà ce qui commence à devenir plus rare que par le passé. Ce n’est pas que ma situation nouvelle ait rien changé à mes penchants ; l’amitié pourrait-elle recevoir quelque atteinte de l’affection intime et saine qui me pénètre aujourd’hui ? Le lien qui nous rapproche, formé par le goût du bien, serait-il relâché, lorsque mon enthousiasme pour tout ce qui est beau et respectable parvient au dernier degré de développement dont il peut être susceptible ? Non, ma bonne amie, tu ne peux cesser de m’être chère, tant que nous serons nous-mêmes ; mes dispositions à ton égard demeureront ce qu’elles étaient ; tu resteras à ta place, mais il y en aura une avant elle. Mon cœur sensible, indépendant, se livrait avec transport à l’attachement qui nous unissait ; objet volontaire de ma confiance, tu la possédais sans réserve ; je versais dans ton sein tout ce qui pouvait toucher mon âme ou regarder ma personne, je ne me serais tue avec toi que par devoir, je partageais tout par goût et par besoin.

Fille et libre, je fus avant tout amie franche et dévouée, toujours aimante et sincère ; je suis épouse aujourd’hui, cette relation devient la première, et tu n’es plus qu’au second rang. Mon confident, mon ami, mon guide et mon appui se trouve à mes côtés ; devoir, inclination se réunissent et se confondent.


Du 17, au matin.

J’étais ici hier, lorsque ta sœur[2] est arrivée pour passer avec moi une partie de la soirée. Je reprends ma lettre au sortir de mon lit et je vais courant après mes idées, toutes interrompues à l’instant où je te quittai. Je sais que tu as remarqué mon silence, parce que tu ne t’es pas représenté combien mon temps

  1. Dauban. II. 424. — Sur Sophie et Henriette Cannet, voir l’Appendice A.
  2. Henriette Cannet qui se trouvait à Paris depuis le 21 décembre 1779, pour un séjour qui se prolongea jusqu’en novembre 1780.