Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/975

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cule ; peut-être que l’habitude et la sécurité ne font à la vertu même que lui ôter son énergie : il faut qu’elle soit attaquée pour devenir forte, et ce sont les dangers qui la rendent sublime.

Quant à la médisance, c’est plaisanterie si l’objet est léger, et censure s’il est grave ; or la censure publique est le frein le plus salutaire des hommes en place et des mœurs des particuliers.

J’ai hâte de savoir le sort et de l’adresse pour les cadets[1], et de la pétition contre le Châtelet[2], et de la tentative pour réunir aux Jacobins ce qu’il y a de patriotes au Club 89[3]. Je voudrais surtout que l’Assemblée déclarât, comme l’un des droits imprescriptibles de l’homme et loi constitutionnelle de l’État, la liberté indéfinie de la presse ; je ne croîs pas sans cela à notre régénération. Qu’est devenue la réclamation des patriotes contre la proclamation de Lafayette[4] ? Je n’entends rien, ou plutôt je conçois trop, à ce peu d’union entre des hommes que le patriotisme devrait unir si étroitement : il faut que ce patriotisme soit bien faible et que les têtes soient encore bien françaises ! Je ne sais comment je ne vous parle pas de tous les imprimés que vous m’envoyez ; je les lis pourtant, et les fais lire à qui je puis. L’histoire du somnambulisme[5] m’a rappelé quelque chose que j’ai vu en Suisse, sans compter le baquet d’Amiens et les petites baguettes d’acier poli ; mais nous rirons de ces folies sous nos arbres, sans prétendre en magnétiser les oiseaux, comme veut certain personnage de cette province qui les fait tomber, dit-on, dans la main des dames. Je n’ai fait que jeter un coup d’œil sur le dernier écrit de M. Clavière, où j’ai vu des réflexions sages sur Lyon même, à l’occasion de la nature de l’impôt.

  1. Voir Patriote français du 14 août, « Abolition des privilèges des aînés, article de Lanthenas.
  2. Pétition du Conseil général de la commune de Paris, demandant à l’Assemblée nationale d’enlever au Châtelet la connaissance des faits se rapportant aux journées d’octobre 1789 et l’inculpant du crime de lèse-nation (V. Révolutions de Paris, no 57).
  3. Le Club de 1789, partagé en deux courants contraires, allait de dissoudre (V. Tourneux, 9997 : « Projet de paix entre le Club de 1789 et la Société des Amis de la Constitution, par un membre de l’Assemblée nationale, Impr. du Patriote français, s.d. in-8o, 7 pages. »). Il paraît cependant avoir subsisté jusqu’eu commencement de 1791.
  4. Le nom de Lafayette est biffé sur l’autographe. Nous le rétablissons d’après l’imprimé de 1835.
  5. C’est l’étrange affaire D’Hozier et Patit-Jean, deux illuminés auxquels la Vierge avait révélé les moyens de sauver le Roi. Brissot avait fait un rapport là-dessus, le 29 juillet, au Comité des recherches de l’Assemblé nationale et de la municipalité de Paris. — Voir le Patriote français du 6 août 1790 Tuetey, I, 1745-1747.