Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/981

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En nous nommant, vous avez suivi le penchant d’un cœur affectueux qui se plaît à s’entretenir des objets qu’il distingue. C’est justice à faire à mon ami que de le peindre ce qu’il est : homme juste et bon citoyen ; quant à moi personnellement, je ne désire ni ne crains d’être connue de qui que ce soit, et je crois qu’il est assez indifférent pour la chose publique que je le sois ou que je ne le sois pas.

Je voudrais bien pouvoir estimer le général[1] sans mélange d’aucune crainte ; mais sa doctrine sur le veto absolu revient souvent à ma mémoire d’une manière désagréable, et je n’arrange pas la doctrine qu’il dit professer sur la liberté de la presse avec sa proclamation contre elle.

Je ne sais rien de Lyon, sinon qu’on ne peut trouver à y acheter de poudre à tirer ; notre garde nationale rustique a voulu, mais en vain, y faire sa provision ; il est défendu de rien délivrer de ce genre. Je ne pense pas qu’on ait encore rien tenté pour le rétablissement des barrières, car il m’en serait revenu quelque chose.

Je suis enchantée de la réponse de Camus le juste[2] au charlatan Necker ; on ne peut rien de plus fort dans les choses et de plus modéré dans le mode : c’est bien le ton de la raison, de la vérité, sûre de sa propre prépondérance et n’empruntant rien de l’art ni de la passion. C’est ainsi que des législateurs devraient toujours discuter.

Sans doute, il y a conjuration contre les puînés ; c’étaient aussi des opprimés, et on redoute leurs plaintes. Mais faites-en donc finir ce M. Alquier, il n’est pas permis de tenir si longtemps de braves gens sur le qui-vive[3].

Je n’aime point qu’on se batte comme des preux qui n’avaient que cela à faire en courant le monde, et je suis fâchée que Barnave ait eu cette folie ; c’est oublier ce qu’il doit à ses commettants et à lui-même[4]. Cependant, si Cazalès partait de cette affaire, je j’aimerais mieux chez Pluton qu’ailleurs. Tous ces gens qui s’évadent comme le jeune Mirabeau et Montlosier[5] ne s’en

  1. Lafayette.
  2. Dans la séance de l’Assemblée du 25 juillet, Camus avait vivement attaqué la gestion de Necker ; celui-ci présenta à l’Assemblée un mémoire justificatif le 1er août ; mais Camus riposta plus énergiquement encore. (Voir Révol. de Paris, n° 57, p. 229.)
  3. Alquier (Charles-Jean-Marie), constituant et convetionnel (1752-1826). — Il avait été élu secrétaire de L’Assemblée le 31 juillet 1790, et Madame Roland s’impatiente de ce qu’il n’ait pas mis à l’ordre du jour de l’Assemblée l’adresse de Lanthenas contre le droit d’aînesse. (Voir Append. L.)
  4. Le duel de Barnave et de Cazalès est du 11 août 1790.
  5. C’est le 27 août seulement que le vicomte de Mirabeau envoya sa démission à