Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/993

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Assurément, je puis appeler le ciel et je le prends à témoin de mes vœux, de mes desseins ; je trouve de la douceur à penser qu’il me voit, m’entend et me juge ; qu’est-ce donc que ces contradictions sociales, ces préjugés humains, au milieu desquels il est si difficile de conduire son propre cœur, si le courage des sacrifices et la constance des caractères ne s’unissent à la pureté d’intention comme au dédain des vaines formules, pour conserver le fil des devoirs ?

Quand est-ce que nous vous reverrons ? question que je me fais souvent et que je n’ose, résoudre. Mais, pourquoi chercher à pénétrer l’avenir que la nature a voulu nous cacher ? Laissons-le donc sous le voile imposant dont elle le couvre, puisqu’il ne nous est pas donné de le pénétrer ; nous n’avons sur lui qu’une sorte d’influence, elle est grande sans doute, c’est de préparer son bonheur par le sage emploi du présent. Cette seule considération me paraît devoir faire la tranquillité des gens de bien dans toutes les situations imaginables ; ils n’ont point à s’inquiéter d’un temps pour lequel ils s’assurent des témoignages qui feront leur consolation. Ainsi les plus chers amis supportent l’absence par le charme d’en consacrer les instants à des vertus dont ils se doivent compte. Quels devoirs cette aimable obligation ne rendrait-elle pas délicieux ! A-t-on à se plaindre, à gémir de quoi que ce soit au monde avec un cœur fait pour apprécier cet avantage ! Et dois-je avoir, pour vous qui le sentez si bien, des alarmes et des craintes ? Non, elles vous seraient injurieuses ; pardonnez celles qui m’ont émue à cette tendre inquiétude trop voisine de la faiblesse d’un sexe chez qui le courage même n’a pas toujours l’accent de la fermeté.

Vous m’avez parlé d’un ami dont vous faisiez le plus grand cas et auquel vous étiez particulièrement attaché ; j’ai rapporté cette idée à M. Garan[1], soit que vous me l’ayez nommé, ou que je l’aie jugé par induction, je ne m’en souviens pas bien ; mais j’ai appris dernièrement, par conversation, que Lths. [Lanthenas] allant voir M.G… avant son départ, et M. G… lui témoignant du regret de l’avoir peu vu dans les derniers instants de son séjour, ce même M.G… avait ajouté, comme par une plainte tendre et dans l’effusion momentanée de son cœur, que vous-même sembliez l’avoir négligé à votre

  1. Garran de Coulon (1749-1816), qui fut député à la Législative, à la Convention, aux Cinq-Cents, puis sénateur. Contemporain de Bancal, il avait dû se lier avec lui a l’Université d’Orléans, où ils suivaient ensemble les cours de Pothier. Il fut, comme lui, un des Électeurs de Paris qui gouvernèrent la ville au 14 juillet 1789. — Nous le verrons aussi très lié avec Bosc, avant et après la Révolution.