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AU-DESSUS DE LA MÊLÉE

Le premier nous dépeint avec une rare franchise l’état moral de l’armée allemande :


Brave, sans souci pour sa vie, qui l’est parmi nous ? Nous tous nous savons trop ce que nous valons et ce que nous pouvons ; nous sommes au meilleur âge ; de la force dans les bras et les âmes ; et comme personne ne meurt volontiers, personne n’est brave (tapfer), au sens habituel du mot ; ou cela est extrêmement rare. Justement parce que la bravoure est si rare dans la vie, c’est pour cela qu’on fait cette dépense de religion, de poésie, de pensée, qui de bonne heure déjà commence à l’école, — qui chante comme le sort le plus haut la mort pour la patrie, jusqu’à ce qu’elle atteigne son faîte dans ce faux héroïsme qui fait tapage autour de nous dans les journaux et les discours, et qui est à si bon marché, — et aussi dans le vrai héroïsme d’un petit nombre, qui s’exposent et entraînent les autres… Nous faisons notre devoir, nous faisons ce que nous devons ; mais ce sont là des vertus passives… Quand je lis dans les journaux, dans les écrivailleries de ceux qui ont une mauvaise conscience, parce qu’ils sont en sûreté par derrière, quand je lis ces hâbleries qui font de tout soldat un héros, cela me fait mal. L’héroïsme est une plante rare, et l’on ne bâtit sur lui aucune armée du peuple (Volksheere). Pour la tenir, on a besoin que l’homme ait devant les supérieurs du respect et même plus de peur (Angst) que devant l’ennemi, on a besoin de supérieurs qui aient de la conscience, fassent bien leur devoir, sachent bien leur affaire, aient du coup d’œil, et maîtrisent leurs nerfs. Quand nous lisons les éloges que font de nous ceux qui sont par der-