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AU-DESSUS DE LA MÊLÉE

Vous, chrétiens, pour vous consoler de trahir les ordres de votre Maître, vous dites que la guerre exalte les vertus de sacrifice. Et il est vrai qu’elle a le privilège de faire surgir des cœurs les plus médiocres le génie de la race. Elle brûle dans son bain de feu les scories, les souillures ; elle trempe le métal des âmes ; d’un paysan avare, d’un bourgeois timoré, elle peut faire demain un héros de Valmy. Mais n’y a-t-il pas de meilleur emploi au dévouement d’un peuple que la ruine des autres peuples ? Et ne peut-on se sacrifier, chrétiens, qu’en sacrifiant son prochain avec soi ? Je sais bien, pauvres gens, que beaucoup d’entre vous offrent plus volontiers leur sang qu’ils ne versent celui des autres… Mais quelle faiblesse, au fond ! Avouez-donc que vous qui ne tremblez pas devant les balles et les shrapnells, vous tremblez devant l’opinion soumise à l’idole sanglante, plus haute que le tabernacle de Jésus : l’orgueil de race jaloux ! Chrétiens d’aujourd’hui, vous n’eussiez pas été capables de refuser le sacrifice aux dieux de la Rome impériale. Votre pape, Pie X, est mort de douleur, dit-on, de voir éclater cette guerre. Il s’agissait bien de mourir ! Le Jupiter du Vatican, qui prodigua sa foudre contre les prêtres inoffensifs que tentait la noble chimère du modernisme, qu’a-t-il fait contre ces princes, contre ces chefs criminels, dont l’ambition sans mesure a déchaîné sur le monde la misère et la mort ! Que Dieu inspire