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Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/114

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BEETHOVEN

puissant orateur, comme Beethoven, un tribun de la musique, ait pu apprendre cette vertu, c’est un miracle, auquel l’épreuve n’a pas dû peu contribuer. Sans doute, l’épreuve n’eût été rien sans l’âme, qui sut en tirer l’enseignement. Mais l’âme avait besoin de l’épreuve, pour se dégager de la bruyante, de la vulgaire rhétorique, où les années de gloire nationale et de malsaine popularité, 1813-1814, avaient risqué de le submerger.

Cette épuration du cœur et du style s’est fait sentir, dès l’Elegischer Gesang de 1814[1], et la Meeresstille de 1815[2]. Peut-être le haut et serein génie de Gœthe n’a-t-il pas été d’une aide médiocre pour le génie de Beethoven, en ces années. On sait quel compagnon il lui fut toujours, et comment, chaque fois que Beethoven se voua à traduire une de ses œuvres, il transforma sa nature selon l’esprit de son maître ; il imposa silence à son pathos romantique ; il rayonna l’ordre et l’harmonie dans son Egmont et ses Gesänge von Gœthe, dont le plus beau, écrit « vom Herzen zum Herzen », « Wonne der Wehmut », est de 1810. Mais la maladie, l’isolement, la perte de contact avec le grand public, l’impossibilité ou l’inutilité de s’exprimer alors dans de grandes œuvres symphoniques et chorales, lui ont révélé, avec l’« Ertragung », l’« Ergebung », dont son Journal de 1816 a conservé l’oraison, le prix, pour l’âme et pour l’art, du silence :

  1. Écrit pendant l’été de 1814, publié seulement en 1826.
  2. Publiée seulement en 1823.