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Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/118

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BEETHOVEN

de bonne heure, imposée par l’incomparable beauté de son jeu musical. Dès 1809, Reichardt en était enchanté. Il célébrait « une telle force unie avec la plus intime tendresse (solche Kraft unter der innigsten Zartheit) … Une âme chantait, au bout de chacun de ses doigts. (In jeder Fingerspitze eine singende Seele…) ». — Et en 1820, W. Chr. Müller, parlant de l’incroyable quantité de pianistes remarquables à Vienne, surtout parmi les femmes[1], disait qu’à son sens, la baronne v. Ertmann les surpassait toutes. Elle avait longuement étudié les sonates de Beethoven, et elle s’en était assimilé l’essence. Elle jouait avec prédilection la Sonata quasi una fantasia en ut dièze mineur, op. 27, no 2 (le « clair de lune » ), la Sonate op. 90, le trio op. 70 [2], et la sonate op. 101, qui lui était dédiée et qui semblait écrite pour elle[3]. Elle la fit sienne. Schindler dit qu’elle avait su « saisir les intentions les plus cachées de Beethoven, comme si elles avaient été écrites sous ses yeux ». Elle excellait « dans l’expression de la grâce et de la tendresse, mais aussi dans le sentiment et la

  1. Hummel lui disait qu’à Vienne, cent femmes jouaient mieux que lui. —• Muzio Clementi, dont le jugement était sévère, disait de la baronne v. Ertmann, qu’  « elle jouait en grand maître ».
  2. L’auditeur « perdait le souffle », dit Schindler, en l’entendant jouer le largo du trio op. 70 ; et sous ses doigts, le deuxième morceau de la sonate op. 90 le jetait « in Liebeswonne ». Elle renouvelait le caractère du motif principal du rondo, en le faisant paraître, à chaque fois, différent « tantôt enjôleur et caressant (schmeichelnden und liebkosenden), tantôt mélancolique ». — Bien qu’elle parût vigoureuse, elle se refusait à jouer, dans une grande salle, la sonate à Kreuzer et le grand trio op. 97, qui demandent beaucoup de force physique.
  3. Beethoven lui dit, dans sa lettre-dédicace : — « Empfangen Sie nun, was Ihnen öfters zugedacht war… ».