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Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/200

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BEETHOVEN

Ces trois piliers immobiles du début, ce linteau, au-dessus duquel se déroule le noble dessin du fronton, sont donc l’expression juste, non de l’émotion spontanée, qui exagère ou qui trébuche, mais de la réflexion qui domine l’émotion apaisée.

Le second lied — le premier en fait de la chaîne des rêves évoqués par le visionnaire amoureux — doit sa beauté à un effet d’endormement poétique dans le spectacle imaginaire ; et j’ai dit comment le point d’orgue en sol prépare le chancellement de la conscience, qui chavire de la réalité dans le rêve. Le champ mélodique est extrêmement réduit[1], il ne dépasse pas une quinte, dans tout le lied ; le plus grand intervalle est une tierce, et elle n’apparaît qu’aux fins de périodes : tout le reste est un doux balancement, d’un degré au degré voisin, p., pp.[2]. À la vingtième mesure, la voix se maintiendra même, pendant treize mesures, sur la même note, tandis que seul l’accompagnement au clavier continue de dérouler, au-dessus, le balancement du thème mélodique : l’effet produit est étrangement hypnotique, on pourrait presque parler, pour tout le lied, d’un point d’orgue, d’une idée fixe où s’engourdit la pensée, en un balancement sur place — jusqu’au stringendo[3], dont la passion réveille la blessure.

  1. Comme il en sera aussi, chez Beethoven, dans les œuvres instrumentales de la fin.
  2. Remarquer la ressemblance avec la belle Arie, d’un caractère populaire (« Que j’aime à voir ces hommages flatteurs »), au premier acte de l’Iphigénie en Aulide de Gluck.
  3. Le tempo allemand de la partie du lied, qui suit le stringendo, n’équivaut pas exactement au tempo italien, qui le double. Celui-ci