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Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/313

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LE CHANT DE LA RÉSURRECTION


Arrivé au bout de cette analyse, qu’ai-je recueilli ? — À le ramener à ses grandes lignes, un schéma de débat psychologique, assez banal, qui, chez Beethoven, est connu de presque tous les Beethoveniens : c’est le colloque entre le Destin, ou entre cette partie de l’âme qui le reconnaît et qui l’accepte, — et l’autre partie, qui souffre, se plaint, se révolte, et qui finit par être brisée, ou qui s’incline religieusement… « Amor Fati… » Cet éternel débat Beethovenien[1], qui fait pendant au combat Cornélien entre le devoir et la passion, que nous apprend-il sur le génie de Beethoven ou de Corneille ? Il est indispensable à connaître, puisqu’à l’un et à l’autre il est essentiel. Mais à l’envisager en ce schéma abstrait, il n’explique rien, il ne laisse rien transparaître du génie. Le génie commence là où s’exprime ce débat, et dans la forme même de son expression. Des milliers d’hommes pensent ces grands combats. Des milliers les vivent confusément. Mais il est donné seulement à des élus de les exprimer, avec cette

  1. Ce débat n’est point par nous imaginé. Il n’est pas une imagination livresque de littérateurs. Beethoven lui-même l’a dit et répété, dans les monologues de son Journal, en ces années :

    — « Montre ta puissance, Destin ! Nous ne sommes pas maîtres de nous-mêmes : ce qui est arrêté, doit être ; et qu’il soit donc ! » (Was beschlossen ist, muss sein, und so sei es denn !) (Manuscrit Fischhoff, 1816).

    Si donc nous avons retrouvé l’empreinte de cette pensée dans l’op. 106 — et dans tant d’autres œuvres Becthoveniennes ! — avant d’avoir lu ces lignes, qui pourraient en être la devise, c’est que la musique l’exprime encore plus clairement que les mots.