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Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/314

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BEETHOVEN

puissance et cette splendeur. Et c’est le secret de leur ascendant sur l’humanité, de la reconnaissance et de l’amour qu’ils inspirent. Ils sont la grande voix d’un âge, ou d’une espèce humaine qui, sans eux, n’arriverait pas à s’exprimer ; ils lui délient la langue paralysée.

Et c’est pourquoi notre analyse n’est pas vaine. Car si l’expression est l’objet propre de l’analyse d’une œuvre d’art, et si c’est dans la forme de l’expression que se grave le génie, que serait une expression qui n’aurait pas de substance à exprimer, ou dont la substance serait ignorée ? L’analyse technique du mécanisme purement formel, comme elle est faite dans les livres de Conservatoires, a son utilité scholastique : c’est une classe de grammaire. Mais elle demeure à la porte de l’œuvre. Les musiciens professionnels, qui s’en tiendraient à la connaissance et à la jouissance intellectuelle des jeux et des problèmes harmoniques ou rythmiques, posés et résolus, n’entrent jamais dans le secret de l’art d’un Beethoven, chez qui le fond psychique imprègne toujours la forme[1]. Chez nul artiste n’est plus exact le mot fameux : « Le style, c’est l’homme ». — Lisez donc l’homme ! lies plus secrets mouvements de sa pensée s’inscrivent, au fur et à mesure, dans son style ; et ils lui communiquent

  1. Souvenons-nous de la lettre, déjà citée, du 15 juillet 1817, écrite à Wilhelm Gerhard, de Leipzig, alors que Beethoven couvait l’op. 106. La musique a, dit-il, son « domaine propre, qui s’étend dans des régions (intérieures) que la poésie même ne peut atteindre si facilement ! »

    Et rapprochons de cette hère revendication l’affirmation écrite à Nanette Streicher (30 juillet 1817), qu’il « gedichtet, oder, wie man sagt, componirt ». — « Composer », pour Beethoven, c’est « créer, en poète ».