Aller au contenu

Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/358

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
348
BEETHOVEN

sité, — d’autant plus évidente, à cette heure, qu’il voit qu’elle s’est imposée à lui, souvent, à son insu. Nulle part, il n’a régné avec plus de calme et d’ample majesté, dans les profondeurs de l’esprit, qu’il ne l’a fait en ce monumental Adagio, qui semble sans fin, éternel. Et nulle part, il n’a été maître d’une pareille somme d’énergie, qui lutte et joue avec la riche étoffe de la polyphonie, en claire et pleine puissance, sure que ce qu’elle veut, elle le peut et elle le fera.

Chaque grande œuvre de Beethoven est un équilibre souverain, réalisé sur les passions opposées et domptées. Mais chacune le réalise, avec des moyens et, pourrait-on dire, à un étage, différents. Les éléments dont Beethoven bâtit son harmonie de l’op. 106 sont d’une richesse incomparable à ceux qui lui ont servi de matériaux pour la Cinquième Symphonie, ou même pour l’Appassionata. C’est la plénitude de son existence. Elle s’affirme dans la cathédrale sonore, qu’il bâtira, de 1818 à 1826. La Missa Solemnis et la Neuvième Symphonie en sont les deux tours ; les derniers quatuors sont les chapelles ; les dernières sonates forment la nef (et j’aimerais à voir dans les 33 Variations, op. 120, la flèche…).

Ceci encore est un jeu d’écrivain ! Mais pourquoi serait-il interdit à l’écrivain de jouer — de fantasieren sur le beau thème qu’il s’est efforcé de comprendre et de commenter, avec application et avec amour, — l’œuvre compagne, aux côtés de laquelle il a fait route, pendant un demi-siècle de vie ! Tout ce qui précède, en ce chapitre, n’est qu’un bien faible écho reconnaissant du long colloque qu’ils eurent ensemble et de la force qu’il y a bue.