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Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/366

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BEETHOVEN

gratitude, les richesses sans prix dont il nous comble ?

La Messe en Ré est un des trésors les plus incalculables de l’esprit. Un maître souverain de l’art des sons y a déposé le plus profond de sa grande âme, avec une sincérité absolue. C’est, peut-on dire, le Testament de toute sa vie, écrit au faîte de la vie, en pleine vigueur, et enrichi d’une poignante expérience. Le sacrifice de la Messe qu’il officie, avec ferveur, humilité et vérité, lui est le poème vécu et recréé de la plus grandiose « Divina Commedia » que l’on connaisse en musique. Est-il possible que des musiciens passent à côté, sans la lire que d’un regard superficiel ? Ce n’est pas assez de l’écouter, de loin en loin, dans un concert, où l’oreille la mieux exercée suit en courant le flot multiple des pensées, dont l’interprétation la plus attentive a peine à mettre en lumière tous les détails et, trop souvent, répartit à faux les lumières et les ombres, brouille les lignes du tableau. Il faut s’en pénétrer, comme d’un grand livre, qui nous révèle, à chaque lecture, des profondeurs inaperçues. Il n’en est pas une ligne, je dirai même, pas un mot, que Beethoven ait laissé au hasard. En lui, toujours, mais jamais au même degré que dans la Messe — « Musik und Wort sind eins » « la musique et le mot ne sont qu’un »[1]. Cas

  1. Sur la consubstantialité de la musique de Beethoven avec les mots qu’il élit, il n’est que de se reporter au témoignage écrit de Beethoven même. — Et, à ce propos, qu’il me soit permis de relever une des erreurs paresseuses de la critique Beethovenienne ! (Elles ne sont pas peu !…) On a dit souvent que Beethoven ne s’exprime jamais sur son esthétique. C’est faux. Ceux qui le disent montrent seulement qu’ils ont mal lu sa correspondance. Il suffit de feuilleter celle avec Breitkopf, pour y trouver des textes importants et décisifs sur des