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Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/37

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LE CHANT DE LA RÉSURRECTION

nous est pas permis d’oublier, un seul instant, que tout le génie de ces Orphées, interprètes magiciens de la douleur et de la joie de l’humanité, ne serait rien sans ce don primordial qu’ils ont reçu d’incarner plus profondément et véridiquement que les autres hommes cette commune humanité. Et certes, le plus humain n’est pas nécessairement un artiste. Mais les artistes les plus grands sont toujours les plus humains : car ils embrassent le plus vaste champ. La mesure de l’art, c’est l’homme. Ecce homo !

Ne cherchez point à le diviniser — à « l’alléger de notre pesanteur humaine » !… Les purs esprits sont de pâles oiseaux, échappés de la cage funèbre de la Νέκυια. Qu’ils repassent la rive ! Ils ne sont point faits pour notre demeure la terre, que baigne le soleil. Il nous faut l’être entier, esprit et chair, — tout l’arbre, ancré au sol, et toutes voiles dehors, — Beethoven vivant… Beethoven mortel… Aimons qui meurt ! Car c’est qu’il vit.

Vaut-il la peine d’aimer les immortels ?

Villeneuve, printemps 1937.
Romain Rolland.