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Page:Rolland - Beethoven, 3.djvu/36

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BEETHOVEN

ous ne vous en cloutez pas, mais vous respirez encore son souffle qui dort au cœur de cette pierre, l’harmonie de ses sens et de sa raison, le feu de sa vie. La main de Phidias et celle de Praxitèle ont étreint la matière, et elles y ont laissé, avec leur empreinte, la chaleur de leurs mondes éteints depuis des siècles et disparus dans la nuit. Les yeux d’un grand peintre sont les fenêtres, par lesquelles le monde des couleurs et des lignes s’infiltre dans le moule de son esprit. La musique, qui plus que tout autre art est faite de l’étoffe des rêves intérieurs, ne peut être conçue en dehors du maître et serviteur des rêves. Vous avez beau l’ignorer quand vous buvez ces harmonies, les rires et les tourments, les rythmes et les élans, qu’elles font passer en vous, sont ceux d’un qui fut un vivant :

« Come voi, uomini fummo
lieti e tristi, corne siete… » [1]

Ces jeux de l’âme, et de ses lumières et de ses ombres, ces grands débats, des milliers d’hommes les ont vécus et ils les vivent, confusément. La grandeur propre du génie est qu’en participant à l’humanité universelle de ces « Actes Tragiques pour tous les temps » [2], il y imprime Ja justesse, la puissance et la splendeur d’expression exceptionnelle. C’est là son rôle et sa gloire. Mais si l’on ne saurait trop les mettre en lumière, dans l’étude des grands artistes, il ne

  1. Michel-Ange.
  2. « Actus Tragicus für jede Zeit. » (On se souvient du titre d’une cantate de J.-S. Bach.)