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Page:Rolland - Beethoven, 5.djvu/189

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LES DERNIERS QUATUORS

sans turbulence, un prurit de mouvement, qui bouscule la tristesse, et prétend l’entraîner, bon gré mal gré. Le résultat n’est peut-être pas toujours ce que Beethoven voudrait. Car il s’en faut que, malgré tout son désir, les motifs de joie aient la valeur émotionnelle et artistique des motifs de mélancolie. Et (je l’ai vérifié, à bien des auditions), les exécutants (dont je suis) ont toujours tendance à mettre l’accent sur les derniers. Cette remarque s’applique encore plus à l’andante con moto, troisième morceau, où Beethoven a voulu certainement traiter scherzando des mélodies d’une tendresse mélancolique, souvent poignante. Avons-nous tort de ne pas obéir à la volonté bien affirmée de l’auteur ? Sûrement, ce serait trahir ses intentions conscientes. Mais son subconscient, sa vie secrète, qui le peut dire ? Il est des cas (et fort nombreux), où l’œuvre écrite contient plus et autre chose que la volonté de l’auteur n’a cru y mettre ; et il arrive que le public le sente mieux que l’auteur. Nous penserions, comme de l’Oreste d’Iphigénie, qui affirme : « La paix rentre dans mon cœur. » — « Tu veux te tromper[1], la paix n’est point rentrée… » L’âme de Beethoven, dans sa gaieté bruyante, reste meurtrie. Et sa tristesse a beau s’étourdir, en dévalant avec de gros rires, du haut des pentes des collines, nous savons bien qu’il la retrouve à son logis ; et pour notre cœur, elle a un plus grand prix.

On se souvient de la phrase initiale du quatuor précédent, op. 132 (la mineur), qui conditionne son développement :

  1. « Vous ne voyez donc pas qu’il ment ! » criait Gluck.