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BEETHOVEN

mois, passé par des sautes violentes, de joie, d’humour et de soucis, — et qu’on en voie courir les rayons et les ombres, non seulement d’un morceau à l’autre de son quatuor en si bémol, mais même d’une page à l’autre, d’une mesure à l’autre, dans le même morceau ? Walter Riezler dit justement que le premier morceau, — de tous le plus intéressant, est « ein fast ununterbrochenes « Zugleich » der Gegensätze » (une simultanéité des contraires, presque ininterrompue). Ils se superposent, ils s’interpénétrent, et la complication de l’écriture s’en ressent : jamais la polyphonie du quatuor n’a été plus libre et plus audacieuse ; dans tels passages, chacun des instruments parle pour son compte, — on pourrait dire, comme dans certains motets français du xive siècle, chacun sur un texte différent : (si le texte ici n’est pas écrit, il est pensé : la polyphonie n’est pas seulement dans les notes, elle est dans les émotions, que la volonté du maître contraint à s’associer ; et ce mariage forcé donne parfois des fruits étranges et savoureux). S’il est téméraire de chercher à en pénétrer le secret, il est par trop insuffisant de se borner, comme le font les plus savants analystes, à disséquer le corps de l’œuvre, avec ses nerfs et ses tendons. Il faut connaître le souffle qui l’habitait. Nous essaierons avec prudence, ne craignant point, là où le sens nous échappe, de dire : — « Je ne sais pas. »

Ce qui est sûr, c’est que Beethoven veut délibérément, et pour des raisons qui ne sont pas musicales à leur source, mais qui le deviennent, par le génie de l’artiste, opposer, dans le premier morceau du quatuor — (et dans une certaine mesure, dans le troisième, l’andante con moto) — deux états d esprit antagonistes : une mélancolie, qui s’efforce, à grand peine, de sortir de son accablement — et une vive allégresse, non