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Page:Rolland - Beethoven, 5.djvu/74

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BEETHOVEN

extrême liberté dans la conduite de chaque voix, sans pourtant rompre l’unité du groupe sonore, — la a Klangeinheit ». La polyphonie leur est, pour ainsi dire, naturelle, et elle se prête aux débats de l’âme avec soi-même, sans qu’on risque d’en être distrait par les sortilèges de la polychromie des timbres trop différents — (et, sur la palette orchestrale, il en est d’autres, les bois, les cors, qui disposent de plus de séductions). — C’est évidemment un appauvrissement, du point de vue du plaisir sensuel : quel charme ensorcelant ne possède point la clarinette dans un quintette de Mozart ! Mais ce qui est perdu pour la volupté, est un gain pour l’intelligence ; et celle du vieux Beethoven, dont l’oreille était sans doute restée sensible aux jouissances du coloris sonore, — (nous l’avons montré, à ses raffinements d’écriture des 33 Variations et des Bagatelles op. 126) — mais toutefois était feutrée à l’attouchement direct des sonorités, avait moins de peine à en sacrifier la gourmandise à la joie pure et sévère des lignes du quatuor. Comme on l’a dit, un quatuor à cordes est un dessin à deux ou trois crayons, mine de plomb, craie, sanguine et encre de Chine. Et l’on sait que ceux des maîtres valent les plus belles peintures : il n’est pas interdit, même, de les préférer, quand ils sont de la main de Rembrandt ou de Vinci. Dans le dessin sonore du quatuor, nul subterfuge ne peut faire passer sur la pauvreté des lignes : le voile diapré de la Maya — de l’illusion orchestrale — ne se tend point pour dissimuler le néant ; « dice cose… » (il faut avoir des choses à dire, et non pas des « paroles » vides). Beethoven ne parlait jamais pour ne rien dire.

Nous ne pouvons douter, d’autre part, qu’il n’y ait aussi, dans le quatuor à cordes, avec ses frottements d’archets, ses vibrations, l’extrême acuité de certaines de ses sonorités,