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Page:Rolland - Beethoven, 5.djvu/73

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LES DERNIERS QUATUORS

surtout dans le premier-né, l’op. 127, quelque réverbération de la forge. Mais un très grand artiste n’a rien tant qui lui répugne que de se recommencer. Ce qu’il a dit une fois, est dit. Maintenant, il en est soulagé. Maintenant, d’autres désirs l’assiègent, d’autres besoins de sa nature qu’il lui faut réaliser.

Cherchons pourquoi Beethoven s’adressait au quatuor à cordes pour les exprimer.

Il venait de brosser ses puissantes fresques qui s’adressent aux peuples. Il s’était surhumainement — inhumainement — attaché, pendant des années, au plafond de sa Sixtine, en tête-à-tête avec ses dieux et ses prophètes. Il lui fallait maintenant descendre de l’échafaudage et se retrouver avec soi-même. Il avait beaucoup appris, douleurs et joies, beaucoup expérimenté, beaucoup changé, au cours de ces années : il avait besoin de faire l’ordre et le relevé, et, pour cela, d’entreprendre un nouveau voyage d’exploration autour de sa chambre. Il l’avait déjà commencé, avec le clavier. Mais le clavier ne suffisait plus à relever avec netteté et précision la complexité de ses pensées ; ce vieux cheval de ses batailles passées, il l’avait éperonné sans pitié, jusqu’à la limite de ses forces ; peut-être même les avait-il dépassées. Il lui fallait, comme Richard III, une autre monture… « Mon royaume pour un cheval !… » afin de mener jusqu’au bout la bataille.

Le quatuor à cordes s’accordait avec ses exigences essentielles, — aussi avec ses manques.

C’était un instrument de discrimination des pensées et d’analyse merveilleux, le plus souple, le plus précis, le plus nerveux, qui fût dans tout l’arsenal de la musique. Quatre instruments apparentés, de même race, et pourtant d’individualités bien tranchées, susceptibles d’affirmer la plus