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Page:Rolland - Beethoven, 5.djvu/82

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BEETHOVEN

cent épique : on dirait une de ces Ouvertures de fête, qui, comme l’op. 124 (Die Weihe des Hauses) font cortège à la symphonie monumentale. Dernier reflet de cette Iliade. On ne le retrouvera plus dans les quatuors qui suivront.

C’est le Beethoven Napoléonien de cette fin d’été 1824, que Joh. Andréas Stumpff voit et décrit, à Baden, en septembre, à l’heure où il achève son quatuor, — l’homme conscient de sa force, et qui en jouit, en communion avec la Nature et avec son Dieu.

« De charpente robuste, comme Napoléon, le cou court, les épaules larges d’où émergeait une grosse tcte ronde avec une forte chevelure embroussaillée. Son œil perçant, profondément enfoncé, semblait lancer des éclairs, et plongeait dans l’âme de qui se tenait devant lui[1] »

Même impression chez un jeune artiste, A. von Zuccalmaglio, qui le visita, dans ces mêmes semaines :

  1. Le Dr Franz Lorenz, qui a groupé des Souvenirs de Beethoven (à Gneixendorf), avait gardé une impression saisissante du regard de Beethoven :

    « … L’éclat de ses yeux, qui surprenait d’une façon étrange, saisissait tous ceux qui, comme moi, ont pu voir face à face cet homme extraordinaire ; j’eus, en effet, cette joie, d’être remarqué, voire dédaigné par luiUn jour, jeune, et depuis peu transplanté de la campagne à Vienne, parmi la fourmilière humaine, je me heurtai, dans une rue étroite, à un homme qui me jeta un regard perçant et disparut. Jamais je n’oublierai cet œil humain, dans l’abîme lumineux duquel j’avais plongé !… Cherchant à accorder cette mise négligée, ce visage bruni, avec ce regard qui trahissait la plus haute intelligence, j’en arrivai à penser que j’avais heurté le rôdeur le plus dangereux… (Il avait remarqué sans doute ce qui se passait en moi, car, lorsque je le rencontrai de nouveau), il jeta sur moi un regard de ses yeux petits, lançant des éclairs, avec un mélange d’indifférence et de mépris, puis, il ne fit plus attention à moi. (Là-dessus j’appris qui il était, et je ne manquais plus de lui tirer mon chapeau jusqu’à terre), mais il ignorait ma politesse, comme il avait fait de ma grossièreté… »