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Page:Rolland - Beethoven, 5.djvu/83

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LES DERNIERS QUATUORS

« Aucun peintre ne m’a semblé avoir rendu, même de loin, le feu du regard (die Glut des Auges), qui me transperça… »

Il ajoute (et son impression s’accorde avec celle de Stumpfï) que Beethoven n’avait alors nullement « l’expression d’un homme isolé et renfermé tristement en soi, comme on se le représente ; mais au contraire, tout son aspect respirait une extraordinaire bienveillance ; et l’amitié s’exprimait dans tous ses discours et ses façons[1]. »

Maintenant, il s’était dégagé des déceptions que lui avait causées l’échec matériel de sa Neuvième et de sa Messe, à Vienne ; il en parlait sans amertume, avec un dédain pour les iennois, bonhomme et écrasant. « Dans la nature immaculée » il s’était « lavé l’esprit » et purifié[2]. Il avait repris son équilibre. Il était redevenu tout à fait « ce qu’il était » : calme et heureux, franc, bon vivant, sans contrainte[3], maître de son génie. Ce n’était pas peu d’être déchargé de ces deux œuvres colossales, sous le poids desquelles il avait gravi les rudes pentes des années précédentes. Et maintenant, il pouvait

  1. Même accord sur la tenue soignée de Beethoven alors, sur sa propreté, sur sa mise « d’honorable bourgeois allemand », endimanché.

    « Il portait, dit Zuccalmaglio, une longue redingote grise, qui était aussi propre et irréprochable que pourrait l’être un vêtement de chambre :(il s’était levé de son travail pour me recevoir) ; — rien dans sa mise n’était malpropre ni négligé, comme on se représente habituellement les artistes… seine Tracht gab den ehrenfesten deutschen Bürger kund… »

    Et, dans la promenade à l’Helenenthal, Stumpff le représente « très proprement vêtu, comme s’il allait entrer dans une salle de concert : un frac bleu neuf, un pantalon bleu, un gilet jaune, une cravate très blanche, un chapeau très haut de forme, comme c’était alors la mode à Vienne, des bottes luisantes… »

  2. « Ich muss mich in der unverdorbenen Natur wieder erholen, und mein Gemüth wieder rein waschen. »
  3. « Und wie bin ich heute so ganz was ich bin und sein sollte, ganz aufgeknöpft… »