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Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/119

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Pour finir, je m’en revins, le long de l’eau. Je comptais prendre, au confluent des deux rivières, le Beuvron, pour retourner à ma maison ; mais la soirée était si belle que me trouvai, sans y penser, hors de la ville, et je suivis l’Yonne enjôleuse qui m’entraîna jusqu’au pertuis de La Forêt. L’eau calme et lisse s’enfuyait, sans un pli à sa robe claire ; on était pris par les prunelles, comme un poisson qui a gobé un hameçon ; tout le ciel était comme moi pris au filet de la rivière ; il s’y baignait avec ses nuages, qui s’accrochaient, flottant, aux herbes, aux roseaux ; et le soleil lavait ses crins dorés dans l’eau. Près d’un vieux homme je m’assis, qui gardait, traînant la quille, deux vaches maigres ; je m’enquis de sa santé, lui conseillai de se chausser la jambe d’un bas fourré d’orties piquantes (je fais le mire[9], à mes loisirs). Il me raconta son histoire, ses maux, ses deuils, avec gaieté, parut vexé que je le crusse de cinq ou six ans moins âgé (il en avait soixante et quinze) ; il y mettait sa vanité, il était fier d’avoir été celui qui, ayant plus vécu, avait plus enduré. Il trouvait naturel qu’on endurât, que les meilleurs pâtissent avec les méchants, puisqu’en revanche les faveurs du Ciel se répandent sans distinguer sur les méchants et les meilleurs : au bout du compte, ainsi tout est égal, c’est bien, riches et pauvres, beaux et laids, tous un jour dormiront en paix dans les bras du même Père… Et ses pensées, sa voix cassée, comme dans l’herbe les