Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/133

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Soudain, je la vis là-bas, à l’ombre de la cabane, assise sur une marche. Elle dormait, bouche ouverte, la tête renversée, sur le seuil de la porte. Un de ses bras pendait, le long de l’arrosoir. Le sommeil l’avait brusquement terrassée. Elle s’offrait sans défense, tout son corps étalé, demi-nue et pâmée sous le ciel enflammé, comme une Danaé ! Je me crus Jupiter. J’escaladai le mur, j’écrasai en passant les choux et les salades, je la pris à pleins bras, je la baisai à pleine bouche ; elle était chaude et nue et mouillée de sueur ; à demi endormie, elle se laissait prendre, gonflée de volupté ; et, sans rouvrir les yeux, sa bouche cherchait ma bouche et me rendait mes baisers. Que se passa-t-il en moi ? Quelle aberration ! Le torrent du désir me coulait sous la peau ; j’étais ivre, j’étreignais cette chair amoureuse ; la proie que je convoitais, l’alouette rôtie me venait choir dans le bec… Et voici (grande bête ! ) que je n’osai plus la prendre. Je ne sais quel scrupule stupide me saisit. Je l’aimais trop, il m’était pénible de penser que le sommeil la liait, que je tenais son corps et non pas son esprit, et que ma fière jardinière, je ne la devrais donc qu’à une trahison. Je m’arrachai au bonheur, je dénouai nos bras, nos lèvres et les liens qui nous tenaient rivés. Ce ne fut pas sans peine : l’homme est feu et la femme étoupe, nous brûlions tous les deux, je tremblais et soufflais, comme cet autre sot qui vainquit Antiope. Enfin, je triomphai, c’est-à-dire que je m’enfuis. À trente-cinq ans de là le rouge m’en monte au front. Ah ! jeunesse imbécile ! Qu’il