Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/134

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est bon de penser qu’on a été si bête, et que cela fait frais au cœur !…

À partir de ce jour, elle fut avec moi une diablesse incarnée. Fantasque autant que trois troupeaux de chèvres capricantes, plus que nuée changeante, un jour elle me dardait un mépris insultant, ou bien elle m’ignorait ; un autre, m’arquebusait de regards langoureux, de rires enjôleurs ; cachée derrière un arbre, me visait sournoisement avec une motte de terre s’écrasant sur ma nuque quand j’avais le dos tourné, ou— pan sur le pif ! — avec un noyau de prune, lorsque je levais le nez. Et puis, à la promenade, elle caquetait, coquetait et coquericotait, avec l’un, avec l’autre.

Le pire est qu’elle s’avisa, pour mieux me dépiter, de prendre au trébuchet un autre merle de ma sorte, mon meilleur compagnon, Quiriace Pinon. Nous étions, lui et moi, les deux doigts de la main. Tels Oreste et Pylade, il n’était pas de rixes, noces ou festins où l’on vît l’un sans l’autre, s’escrimant de la gueule, du jarret ou du poing. Il était noueux comme un chêne, trapu, carré d’épaules et carré du cerveau, franc de la langue et franc du collier. Il eût tué quiconque m’eût voulu chercher noise. Ce fut lui justement qu’elle choisit pour me nuire. Elle n’eut pas grand-peine. Il suffit de quatre œillades et d’une demi-douzaine des coutumières grimaces. Jouer de l’air innocent, langoureux, effronté, ricaner, chuchoter, ou faire la sucrée, ciller, battre des paupières, montrer les dents, sa lèvre mordre, ou bien la pourlécher de sa langue pointue, se tortiller le cou, se