Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/145

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dit-elle.

Je ne me fis pas prier. Lorsqu’on est si vieux, ça ne fait de mal à personne, si ça ne fait plus grand bien. (Ça fait toujours du bien.) De sentir sur mes joues, sur mes vieilles joues râpeuses, ses vieilles joues fripées, cela me démangea les yeux d’une envie de pleurer. Mais je ne pleurai point, je ne suis pas si bête ! Elle me dit :

— Tu piques.

— Ma foi, dis-je, ce matin, si l’on avait appris que je t’embrasserais, je me serais fait le menton. Ma barbe était plus douce, il y a trente-cinq années, quand je voulais, toi non, quand je voulais, ma bergère, et ron ron ron petit patapon, la frotter contre ton menton :

— Tu y penses donc toujours ? dit-elle.

— Nenni, je n’y pense jamais.

Nous nous fixâmes en riant, à qui ferait des deux baisser les yeux de l’autre.

— Orgueilleux, entêté, caboche de mulet, comme tu me ressemblais ! dit-elle. Mais toi, grison, tu ne veux point vieillir. Certes, Breugnon, mon ami, tu n’as point embelli, tu as les pattes d’oie, ton nez s’est élargi. Mais comme tu ne fus beau en aucun temps de ta vie, tu n’avais rien à perdre, et tu n’as rien perdu. Pas même un de tes cheveux, j’en jurerais, égoïste ! C’est à peine si ton poil çà et là est plus gris.

Je dis :

— Tête de fou, tu le sais, ne blanchit.

— Vauriens d’hommes, vous autres, vous ne vous faites point de bile, vous prenez du bon temps. Mais