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Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/146

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nous, nous vieillissons, nous vieillissons pour deux. Vois cette ruine. Hélas ! Hélas ! ce corps si ferme et doux à regarder, plus doux à caresser, cette gorge, ces seins, ces reins, ce teint, cette chair savoureuse et dure comme un jeune fruit… où sont-ils, et où suis-je ? où me suis-je perdue ? M’aurais-tu reconnue seulement si tu m’avais rencontrée au marché ?

— Entre toutes les femmes, je t’aurais reconnue, dis-je, les yeux fermés.

— Les yeux fermés, oui, mais ouverts ? Regarde ces joues creusées, cette bouche édentée, ce long nez aminci en lame de couteau, ces yeux rougis, ce cou flétri, cette outre flasque, ce ventre déformé…

Je dis (j’avais bien vu tout ce qu’elle racontait) :

— Petite brebiette toujours semble jeunette.

— Tu ne remarques donc rien ?

— J’ai de bons yeux, Belette.

— Hélas ! où a-t-elle passé, ta belette, ta belette ?

Je dis :

— « Elle a passé par ici, le furet du bois joli. » Elle se cache, elle fuit, elle s’est retirée. Mais je la vois toujours, je vois son fin museau et ses yeux de malice, qui me guettent et m’attirent au fond de son terrier.

— Il n’y a point de risque, dit-elle, que tu y entres. Renard, que tu as pris de panse ! Certes, chagrin d’amour ne t’a point fait maigrir.

— Je serais bien avancé ! dis-je. Le chagrin, faut le nourrir.

— Viens donc faire boire l’enfant.

Nous entrâmes à la ferme et nous nous attablâmes.