Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/147

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Je ne sais plus trop bien ce que je bus ou mangeai, j’avais l’âme occupée ; mais je n’en perdis point un coup de dent ni de gosier. Les coudes sur la table elle me regardait faire : puis, elle dit en raillant :

— Es-tu moins affligé ?

— Comme dit la chanson, fis-je : corps vide, âme désolée ; et bien repu, âme consolée.

Sa grande bouche mince et moqueuse se taisait ; et tandis que pour faire le faraud, je disais je ne sais quoi, des sornettes, nos yeux se regardaient et pensaient au passé. Soudain :

— Breugnon ! dit-elle. Sais-tu ? Je ne l’ai jamais dit. Je puis bien le faire maintenant que cela ne sert plus à rien. C’était toi que j’aimais.

Je dis :

— Je le savais bien.

— Tu le savais, vaurien ! Eh ! que ne me l’as-tu dit ?

— Esprit de contradiction, il eût suffi que je le dise, pour que tu répondisses non.

— Qu’est-ce que cela pouvait te faire, si je pensais le contraire ? Est-ce la bouche qu’on baise, ou bien ce qu’elle dit ?

— C’est que la tienne, pardi, ne se contentait pas de dire. J’en ai su quelque chose, cette nuit que trouvai en ton four le meunier.

— C’est ta faute, dit-elle, le four ne chauffait pas pour lui. Certes, c’est la mienne aussi ; mais je fus bien punie. Toi qui sais tout, Colas, tu ne sais pourtant pas que je l’ai pris par dépit de ce que tu es parti. Ah ! comme je t’en ai voulu ! Je t’en voulais