I
L’ALOUETTE DE LA CHANDELEUR
Saint Martin soit béni ! Les affaires ne vont plus ― inutile de s’éreinter. J’ai assez travaillé dans ma vie. Prenons un peu de bon temps. Me voici à ma table, un pot de vin à ma droite, l’encrier à ma gauche ; un beau cahier tout neuf, devant moi, m’ouvre ses bras. À ta santé, mon fils, et causons !
En bas ma femme tempête. Dehors, souffle la bise, et la guerre menace. Laissons faire. Quelle joie de se retrouver, mon mignon, mon bedon, face à face tous deux !… (C’est à toi que je parle, trogne belle en couleurs, trogne curieuse, rieuse, au long nez Bourguignon et planté de travers, comme chapeau sur l’oreille…) Mais dis-moi, je te prie, quel singulier plaisir j’éprouve à te revoir, à me pencher, seul à seul, sur ma vieille figure, à me promener gaiement à travers ses sillons, et, comme au fond d’un puits (foin d’un puits !) de ma cave, à boire dans mon cœur une lampée de vieux souvenirs ? Passe encore de rêver, mais écrire ce qu’on rêve !… Rêver, que dis-je ? J’ai les yeux bien ouverts, larges,