Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/212

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de ma femme, ou bien parce qu’au tremble j’avais graissé la patte ? Nous ne le saurons jamais ; et dans l’incertitude, je rends grâces (c’est plus sûr) à toute la compagnie, en y ajoutant même ceux que je ne connais point (ce sont peut-être les meilleurs). En tout cas, le certain, et le seul qui m’importe, c’est depuis ce moment que la fièvre tomba, le souffle circula dans le frêle gosier, comme un ruisseau léger ; et ma petite morte, échappant à l’étreinte de l’archange, ressuscita.

Nous sentîmes se fondre alors notre vieux cœur. Tous deux nous entonnâmes le : Nunc dimittis, Seigneur !… Et ma vieille, s’affaissant, avec des pleurs de joie, laissa sur l’oreiller sa tête retomber, comme une pierre qui s’enfonce, et soupira :

— Enfin, je puis donc m’en aller !…

Aussitôt son regard chavira, sa face se creusa, comme si d’un coup de vent son souffle l’avait quittée. Et moi, penché sur son lit, où elle n’était plus, je regardais ainsi qu’au fond d’un trou dans la rivière, où la forme d’un corps qui vient de disparaître reste un instant empreinte et s’efface en tournant. Je fermai ses paupières, baisai son front cireux, j’enchaînai l’une à l’autre ses mains de travailleuse qui ne s’étaient jamais reposées, en leur vie ; et, sans mélancolie, laissant la lampe éteinte dont l’huile était brûlée, j’allai m’asseoir auprès de la flamme nouvelle qui devait maintenant éclairer la maison. Je la regardais dormir ; je la veillais, avec un sourire attendri, et je pensais (se peut-on défendre de penser ! ) :