Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/211

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

jamais un bon Français de rire. Et qu’il rie ou larmoie, il faut d’abord qu’il voie. Vive Janus bifrons, aux yeux toujours ouverts !…

Donc, je n’en avais pas moins de peine à l’écouter s’essouffler et souffler, la pauvre vieille commère ; et malgré que je fusse aussi angoissé qu’elle, je voulais la calmer, je lui disais des mots comme on dit aux enfants, et je l’emmaillotais dans ses draps, gentiment. Mais elle, se dégageait, furieuse, en criant :

— Bon à rien ! Si tu étais un homme, n’aurais-tu pas trouvé moyen de la sauver, toi ? À quoi sers-tu ? C’est toi qui devrais être mort.

Je répondais :

— Ma foi, je suis de ton avis, ma vieille, tu as raison. Si quelqu’un en voulait, je donnerais ma peau. Mais probable que là-haut elle ne fait pas l’affaire : elle est usée, a trop servi. On n’est plus bon (c’est vrai), comme toi, qu’à souffrir. Souffrons donc, sans parler. Peut-être ce sera autant de pris, autant de moins que, la pauvre innocente, elle aura à porter.

Alors sa vieille tête contre la mienne s’appuya, et le sel de nos yeux se mêla sur nos joues. Dans la chambre, on sentait peser l’ombre des ailes de l’archange funèbre…

Et soudain, il partit. La lumière revint. Qui causa ce prodige ? Fut-ce le Dieu d’en haut, ou bien ceux des forêts, mon Jésus pitoyable à tous les malheureux, ou la terre redoutable, qui souffle et boit les maux, fut-ce l’effet des prières, ou la peur