Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/223

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espèce humaine. De bons enfants sont bons ; je n’ai pas à me plaindre. Ils sont encore meilleurs, quand on n’a pas besoin de recourir à eux. J’en dirais long si je voulais… Enfin, j’ai ma fierté. Je n’aime pas reprendre leur pâtée à ceux à qui je l’ai donnée. J’ai l’air de leur dire : « Payez ! » Les morceaux que je n’ai pas gagnés me restent dans la gorge ; il me semble voir des yeux qui comptent mes bouchées. Je ne veux rien devoir qu’à ma peine. Il me faut être libre, être maître chez moi, y entrer, en sortir, selon ma volonté. Je ne suis bon à rien, quand je me sens humilié. Ah ! misère d’être vieux, de dépendre de la charité des siens, c’est encore pis que de ses concitoyens : car ils y sont forcés ; on ne peut jamais savoir s’ils le font de plein gré ; et l’on aimerait mieux crever que de les gêner. »

Ainsi, je gémissais, souffrant dans mon orgueil, dans mon affection, dans mon indépendance, dans ce que j’avais aimé, les souvenirs du passé envolés en fumée, dans tout ce que j’avais de meilleur et de pire ; et je savais que, quoi que je fisse, j’avais beau me révolter, par cette unique voie il me faudrait passer. J’avoue que je n’y apportais aucune philosophie. Je me sentais misérable, tel un arbre qu’on a scié au ras de terre et tranché.

Comme, assis sur mon pot, je cherchais quelque chose autour où m’accrocher, non loin de moi je vis, voilé par les cheveux des arbres d’une allée, la tourelle à créneaux du château de Cuncy. Et je me souvins soudain de tous les beaux travaux que, depuis vingt-cinq ans, j’avais mis là-dedans, des