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Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/225

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M. de Cuncy, avec un rire bizarre, m’en avait empêché. Je me dis qu’il cachait sans doute quelque drôlesse, quelque femme mariée ; et comme j’étais bien sûr que ce n’était pas la mienne, je n’en pris nul souci. Et puis, avec les lubies de ces grands animaux, on ne discute pas : c’est plus sage. À Cuncy, nul n’essaie de comprendre le maître : il est un peu timbré.

Je montai donc bravement par le grand escalier. Mais je n’avais pas fait dix pas, que, comme la femme de Loth, je restai pétrifié. Les grappes de raisins, les branches de pêchers, et les lianes fleuries, qui s’enroulaient autour de la rampe sculptée, étaient déchiquetées, à grands coups de couteau. Je doutai de mes yeux, j’empoignai à pleines paumes les pauvres mutilés ; je sentis sous mes doigts leurs blessures écrites. Poussant un gémissement, et le souffle coupé, quatre à quatre, j’escaladai les marches : je tremblais maintenant de ce que j’allais trouver !… Mais cela dépassait ce que j’imaginais.

Dans la salle à manger, dans la salle des armures, dans la chambre à coucher, toutes les figurines des meubles et des boiseries avaient qui le nez coupé, qui le bras, qui la quille, qui la feuille de vigne. Sur les panses des bahuts, le long des cheminées, sur les cuisses effilées de colonnes sculptées, s’étalaient en balafres des inscriptions profondes au couteau, le nom du propriétaire, quelque pensée idiote, ou bien la date et l’heure de ce travail d’Hercule. Au fond de la grande galerie, ma jolie nymphe nue de l’Yonne, qui s’appuie du genou sur le cou d’une