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Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/226

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lionne velue, avait servi de cible ; son ventre était troué par des coups d’arquebuse. Et partout, au hasard, des coups et des coupures, des copeaux rabotés, des taches d’encre ou de vin, des moustaches ajoutées ou de sales facéties. Enfin, tout ce que l’ennui, tout ce que la solitude, tout ce que la bouffonnerie et la stupidité peuvent souffler d’incongruités au cerveau d’un riche idiot, qui ne sait qu’inventer au fond de son château, et n’étant bon à rien, ne peut rien que détruire… S’il avait été là, je crois que je l’aurais tué. Je geignais, je soufflais du fond de mon gosier. Je fus un long moment à ne pouvoir parler. J’avais le cou rouge et les veines du front qui saillaient ; je riboulais des yeux, ainsi qu’une écrevisse. Enfin, quelques jurons réussirent à passer. Il était temps ! Un peu plus, et j’allais étouffer… La bonde une fois partie, bon sang ! je m’en suis donné. Dix minutes d’affilée, et sans reprendre haleine, j’ai sacré tous les dieux et dégorgé ma haine :

— « Ah ! chien, criais-je, fallait-il que j’amenasse dans ta bauge mes beaux enfants, afin que tu les torturasses, mutilasses, violasses, souillasses et compissasses ! Hélas ! mes doux petits, enfantés dans la joie, vous sur qui je comptais pour être mes héritiers, vous que j’avais faits sains, robustes et dodus, pourvus de membres bien charnus, sans qu’il y manquât rien, vous qui étiez fabriqués du bois dont on vit mille ans, dans quel état vous retrouvé-je, éclopés, estropiés, du haut, du bas, du mitan, de l’avant, de la proue et de la poupe, de la cave et du grenier, plus