Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/27

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aussi, est ma fille. Je l’ai bâtie, pièce par pièce, et plutôt trois fois qu’une, sur le bord du Beuvron indolent, gras et vert, bien nourri d’herbe, de terre et de merde, à l’entrée du faubourg, de l’autre côté du pont, ce basset accroupi dont l’eau mouille le ventre. Juste en face se dresse, fière et légère, la tour de Saint-Martin à la jupe brodée, et le portail fleuri où montent les marches noires et raides de Vieille-Rome, ainsi qu’au paradis. Ma coque, ma bicoque, est sise en dehors des murs : ce qui fait qu’à chaque fois que de la tour on voit dans la plaine un ennemi, la ville ferme ses portes et l’ennemi vient chez moi. Bien que j’aime à causer, ce sont là des visites dont je saurais me passer. Le plus souvent, je m’en vais, je laisse sous la porte la clef. Mais lorsque je retourne, il advient que je ne retrouve ni la clef ni la porte : il reste les quatre murs. Alors, je rebâtis. On me dit :

— Abruti ! tu travailles pour l’ennemi. Laisse ta taupinière, et viens-t’en dans l’enceinte. Tu seras à l’abri.

Je réponds :

— Landeri ! Je suis bien où je suis. Je sais que derrière un gros mur, je serais mieux garanti. Mais derrière un gros mur, que verrais-je ? Le mur. J’en sécherais d’ennui. Je veux mes coudées franches. Je veux pouvoir m’étaler au bord de mon Beuvron, et, quand je ne travaille point, de mon petit jardin, regarder les reflets découpés dans l’eau calme, les ronds qu’à la surface y rotent les poissons, les herbes chevelues qui se remuent au