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Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/28

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fond, y pêcher à la ligne, y laver mes guenilles et y vider mon pot. Et puis, quoi ! mal ou bien, j’y ai toujours été ; il est trop tard pour changer. Il ne peut m’arriver pire que ce qui m’est arrivé. La maison, une fois de plus, dites-vous, sera détruite ? c’est possible. Bonnes gens, je ne prétends édifier pour l’éternité. Mais d’où je suis incrusté, il ne sera pas facile, bon sang ! de m’arracher. Je l’ai refaite deux fois, je la referai bien dix. Ce n’est pas que cela me divertisse. Mais cela m’ennuierait dix fois plus d’en changer. Je serais comme un corps sans peau. Vous m’en offrez une autre, plus belle, plus blanche, plus neuve ? Elle goderait sur moi, ou je la ferais claquer. Nenni, j’aime mieux la mienne…

Çà, récapitulons : femme, enfants et maison ; ai-je bien fait le tour de mes propriétés ?… Il me reste le meilleur, je le garde pour la bonne bouche, il me reste mon métier. Je suis de la confrérie de Sainte-Anne, menuisier. Je porte dans les convois et dans les processions le bâton décoré du compas sur la lyre, sur lequel la grand-mère du bon Dieu apprend à lire à sa fille toute petiote, Marie pleine de grâce, pas plus haute qu’une botte. Armé du hacheret, du bédane et de la gouge, la varlope à la main, je règne, à mon établi, sur le chêne noueux et le noyer poli. Qu’en ferai-je sortir ? c’est selon mon plaisir… et l’argent des clients. Combien de formes dorment, tapies et tassées là-dedans ! Pour réveiller la Belle au bois dormant, il ne faut, comme son amant, qu’entrer au fond du bois. Mais la beauté que moi, je trouve sous mon rabot, n’est pas