Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/285

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trompettes de Dieu se mettaient à sonner, de m’être trop pressé ! Mon ami, ne remets d’une heure le bonheur jamais ! Le bonheur se boit frais. Mais l’ennui peut attendre. Si la bouteille s’évente, elle n’en vaudra que mieux. »

Adonques, j’attendis, ou mieux je fis attendre le parti importun qu’il faudrait un jour prendre. Et pour que rien ne vînt, d’ici là, me troubler, je verrouillai la porte et me barricadai. Mes méditations ne me pesaient pas lourd. Je piochais mon jardin, ratissais les allées, recouvrais les semis sous les feuilles tombées, battais les artichauts et pansais les bobos des vieux arbres blessés : bref, faisais la toilette à madame la terre qui s’en va s’endormir sous l’édredon d’hiver. Après, pour me payer, j’allais tâter les côtes à un petit beurré, roux ou jaune marbré, oublié au poirier… Dieu ! qu’il fait bon le laisser fondre, tout le long, amont, aval, tout le long de son gosier, bouche pleine, le jus parfumé !… Je ne me risquais en ville que pour renouveler mes munitions (j’entends non seulement le boire et le manger, mais les nouvelles). J’évitais de rencontrer ma postérité. Je leur avais fait croire que j’étais en voyage. Je ne jurerais pas qu’ils le crussent ; mais, en fils respectueux, ils ne voulaient me démentir. Nous avions l’air ainsi de jouer à cache-cache, comme ces galopins qui se crient :

« Loup, y es-tu ? » ; et quelque temps encore, nous aurions pu, pour

prolonger le jeu, répondre : « Loup n’y est pas… » Nous comptions sans Martine. Quand une femme joue, elle triche toujours. Martine se méfiait, Martine me connaî