Page:Rolland - Colas Breugnon.djvu/30

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arrière-petits-neveux seront aussi enragés à se carder le poil et se manger le nez. Je ne dis pas qu’ils ne sauront quarante façons nouvelles de le faire mieux que nous. Mais je réponds qu’ils n’auront trouvé façon nouvelle de boire, et je les défie de le savoir mieux que moi… Qui sait ce qu’ils feront, ces drôles, dans quatre cents ans ? Peut-être que, grâce à l’herbe du curé de Meudon, le mirifique Pantagruelion, ils pourront visiter les régions de la Lune, l’officine des foudres et les bondes des pluies, prendre logis dans les cieux, pinter avec les dieux… Bon, j’irai avec eux. Sont-ils pas ma semence et sortis de ma panse ? Essaimez, mes mignons ! Mais où je suis, c’est plus sûr. Qui me dit, dans quatre siècles, que le vin sera aussi bon ?

Ma femme me reproche d’aimer trop la ribote. Je ne dédaigne rien. J’aime tout ce qui est bon, la bonne chère, le bon vin, les belles joies charnues, et celles à la peau plus tendre, douces et duvetées, que l’on goûte en rêvant, le divin ne-rien-faire où l’on fait tant de choses ! — (on est maître du monde, jeune, beau, conquérant, on transforme la terre, on entend pousser l’herbe, on cause avec les arbres, les bêtes et les dieux) — et toi, vieux compagnon, toi qui ne trahis pas, mon ami, mon Achate, mon travail !… Qu’il est plaisant de se trouver, son outil dans les mains, devant son établi, sciant, coupant, rabotant, rognant, chantournant, chevillant, limant, tripotant, triturant la matière belle et ferme qui se révolte et plie, le bois de noyer doux et gras, qui palpite sous la main comme